micrologus
gui d'arezzo, vers 1025.
chapitre II
les notes, leur qualité, leur nombre

Voici les notes qui se trouvent sur le monocorde : tout d'abord est placé
le Γ grec ajouté par les modernes. Suivent sept lettres de l'alphabet, ce sont les "graves", qui sont pour cette raison représentées par des majuscules : A B C D E F G. Après celles-là, on reprend les sept mêmes lettres pour les "aigües", mais écrites en minuscules; parmis celles-ci, cependant,  nous posons entre a et b carré un autre b auquel nous donnons une forme arrondie ♭ —alors que nous avons fait l'autre carré ♮— : a ♭ ♮ c d e f g. Nous ajoutons, au moyen de ces mêmes lettres, mais en changeant la disposition, le tétracorde des "superaiguës" sur lequel nous dédoublons, comme précédemment, ♭ et ♮: aa ♭♭ ♮♮ cc dd. Beaucoup disent que ces dernières notes sont superflues, mais nous avons préféré abonder que de manquer. Ainsi, il y a en tout vingt et une notes :
Γ, A, B, C, D, E, F, G, a, ♭, ♮, c, d, e, f, g, aa, ♭♭, ♮♮, cc, dd.
Voilà leur disposition —que les savants ont passée sous silence ou embrouillée par une trop grande obscurité— exposée, même à l'usage des enfants, de manière concise et exhaustive.

chapitre III
la disposition des notes sur le monocorde.

Donc, après avoir en premier lieu placé le Γ, divise l'espace restant jusqu'à l'extrémité de la corde en 9 et au terme du premier neuvième pose la lettre A; c'est par elle que tous les anciens ont commencé. Pareillement, après avoir repéré un neuvième entre A et l'extrémité, joins-y de la même manière la lettre B.
Après quoi reviens à Γ. Divise ce qui reste jusqu'à l'extrémité en 4 et au bout du premier quart tu trouveras C, de même tu trouveras successivement D à partir de A, E à partir de B, F à partir de C, G à partir de D, a à partir de E, b à partir de F.
Quant aux suivantes, elles se repèrent toutes facilement dans l'ordre, à distance médiane des notes de son et de nom similaires. Par exemple, au milieu de l'espace entre B et l'extrémité, place un autre ♮. Et de la même manière, C sera le point de repère d'un autre c, D celui d'un autre d, E d'un autre e, F d'un autre f, G d'un autre g et ainsi de suite.
Tu pourrais continuer ainsi à l'infini vers le haut ou vers le bas si les principes de l'art ne te retenaient de leur autorité.

chapitre XX
comment la musique a été inventée à partir du son des marteaux.

Un certain Pythagore, grand philosophe, voyageait d'aventure ; on arriva dans un atelier où l'on frappait sur une enclume à l'aide de cinq marteaux. Étonné de l'agréable harmonie qu'ils produisaient, notre philosophe s'approcha et, croyant tout d'abord que la qualité du son et de l'harmonie résidait dans les différentes mains, il interchangea les marteaux. Cela fait, chaque marteau conservait le son qui lui était propre. Après en avoir retiré un qui était dissonnant, il pesa les autres et, chose admirable, par la grâce de Dieu, le premier pesait 12, le second 9, le troisième 8, le quatrième 6 de je ne sais quelle unité de poids.
Il connut ainsi que la science de la musique résidait dans la proportion et le rapport des nombres. Ces quatre marteaux constituaient en effet l'équivalent de ce qu'on exprime maintenant en quatre lettres A D E a.

traduction Marie-Noël Colette & Jean-Christophe Jolivet
Éditions ipmc. Paris 1993.

décomposition d'une corde vibranteLors d'une division
à la règle & au compas, chacune des cordes s'écarte de la précédente
de l'ouverture de compas
de leur différence.
Leurs bases décrivent naturellement
la diagonale d'un double carré.

Les rapports harmoniques définissent les diamètres des tuyaux & cordes d'égales longueurs,
ou leurs longueurs quand ils sont d'égales grosseurs.

Le souffle ou la tension est toujours considéré comme constant.

dispositions de cordesEn résultent, selon la répartition,
les plans de la harpe ou de la flûte de pan, de l'orgue & du claveçin

ainsi que la position des doigts & des frettes sur le manche du luth, le calibrage des cordes de la lyre ou de la vièle

& les proportions
de toutes les caisses de résonance jusqu'à la nef.

...

main guidonienne.

bateau d'Osberg, vers 800.
ouvertures de compas 1 et 8.

Concernant la fabrication des instruments de musique,
les textes anciens se suffisent de l'énoncé des procédures géométriques
qui contruisent les degrés de la gamme.
La reconnaissance des proportions musicales, fondées sur l'apparition des harmoniques naturelles,
est bien antérieure à leur attribution légendaire à Pythagore.
Les premières d'entre elles sont à l'origine de toutes les théories musicales de l'humanité.

Le monocorde met en œuvre, tout au long du Moyen Age, un système acoustique reposant sur un jeu de rapprorts multiples et superparticulaires: double, triple et quadruple (octave, quinte redoublée à l'octave et double octave), sesquialtière (2/3), sesquitierce (3/4) et sesquioctave (8/9) (quinte, quarte et seconde majeure). Ce système acoustique dit «pythagoricien», hérité de la Haute Antiquité à travers de multiples relais, devait ainsi «informer» toute la pratique musicale du Haut Moyen Age, instrumentale et vocale, celles du chant lithurgique, mais également celles des premières polyphonies. Toutefois, la rationalisation des pratiques polyphoniques à l'aube du XIVe siècle et le développement du jeu polyphonique sur des instruments à clavier devait progressivement ébranler cet édifice acoustique que le monocorde avait contribué à forger. Ainsi au XVe siècle, de nombreuses mesures témoignent de l'introduction des tièrces naturelles qui met fin à l'hégémonie du système pythagoricien. Les mesures de monocorde procurent ainsi un regard original non seulement sur l'évolution du système acoustique occidental, mais également sur la manière dont ce système fut organisé et pensé. Ces mesures, procédures d'artisans-géomètres, livrent à cet égard de véritables traités du système acoustique.
- Christian Meyer, Mensura monochordi. Editions Klincksieck, Paris 1996.

Les lois de l'harmonie, dont l'enseignement est universel,
sont ainsi appliquées à toutes les activités humaines & utilisées par tous les corps de métiers.
Leur transmission par le tracé dans chaque spécialité est relayée par les corporations au 13es,
mais s'estompe à la fin de la Renaissance, alors que se répand l'usage du "calcul avec les chiffres",
pour disparaitre totalement avec l'adoption du système métrique.

Cette proportion, de même qu'elle se trouve dans l'univers en vertu de la révolution des sphères, prévaut également dans le microcosme, et bien au-delà de la musique produite par la voix, à tel point que sans la perfection de cette proportion musicale l'homme, étant dépourvu de cette harmonie, ne peut subsister.
- Isidore de Séville, De Musica. vers 615.

Vous devez toujours vous en tenir au carré et au cercle comme étant les deux principales formes obtenues par les deux lignes droite et courbe. Et si vous ne pouvez entièrement faire le carré et le cercle complets, vous prendrez toujours une ou plusieurs parties connues de ceux-ci, c'est à dire la 1/2, le 1/3, les 3/4, les 2/3, etc…, de leur contour ou de leur diamètre et les proportionnerez toujours le plus possible selon des quantités définies qui se puissent exprimer par un nombre.
- Luca Paccioli, De Divina Proportione, chap. XIX. Venise 1509.

Gui d'Arezzo dans Regulae Rythmicae, étend l'usage des lignes & préconise l'utilisation de couleurs pour souligner les notes précédées d'1/2 ton, le do & le fa.
Ce procédé est en usage sur les harpes modernes où, par convention, les do sont colorés en rouge
& les fa en bleu ou noir.