la dama de tópaga
callate

par la croix et la harpe

Topaga est un village minier aux environs de Sogamoso dans la Cordillère Centrale colombienne. Complètement oublié aujourd'hui, seule le distingue son église missionnaire classée monument national.
Cherchant un passage des Andes vers l'est, les Jésuites avaient échangé la mission de Topaga aux Franciscains en 1640. Elle fut dirigée pendant 18 ans par Francisco de Ellauri, le premier Jésuite "créole", originaire de Villa de Leiva.

Il trouva une église de bois et de paille sans aucune commodité, et par sa grande activité, son dévouement et un travail énorme, il éleva une église de briques et de chaux et la couvrit de tuiles. Il dressa trois tabernacles magnifiquement dorés; il l'enrichit d'ornements précieux, de peintures saintes ramenées de Santa Fé de Bogota, d'un encensoir d'argent, de lampes et de candélabres du même métal et embellit l'église de riches sculptures.
Le plus admirable fut que par ses soins et sa sollicitude il fit venir des maîtres de musique qui enseignèrent le chant; ayant acheté un orgue, des hautbois et de nombreux autres instruments de toutes sortes, cette église paraissait pendant ses festivités à une cathédrale, et notre Dieu était servi en ces montagnes avec tant de révérence et de dévotion que les voisins de cette vallée, pour avoir une bonne fête du Corpus Christi, une Semaine Sainte dévote, de joyeuses fêtes de l'Immaculée conception ou autres célébrations, se retrouvaient au village de Topaga.
(...) Les processions de la Semaine Sainte s'y faisaient avec tant d'éclat, de dévotion, de tendresse et de pénitences que le village d'indiens semblait une ville espagnole. (sic)
*

En mars 1642 eut lieu la dédicace solennelle de la nouvelle église de Topaga :

à cette occasion se réunirent au village 24 prêtres venus des environs, plus de 200 espagnols, tout le gratin de Tunja et une multitude d'indiens. Les festivités durèrent huit jours pendant lesquels furent célébrées des messes solennelles que les indiens de Topaga accompagnèrent de musique sonore depuis le chœur, alternant avec des danses et des représentations théâtrales, dont la vie de saint Patrick. Il y eut un ensemble de 16 petits indiens joliment vêtus qui dansaient en chantant au son d'instruments qu'ils jouaient eux mêmes. Ceux qui étaient présents s'en émerveillèrent comme d'une chose que l'on n'avait jamais vue en ces terres chez les indiens. Ne manquèrent ni les arcs de triomphe où s'exhibaient les fleurs les plus variées et les oiseaux et animaux les plus divers, un château de feu, des lancers de pétards et de feux d'artifice, des courses de taureaux et un débat philosophique dans lequel intervinrent plusieurs enfants du village.*

Afin d'avoir un centre d'opérations dans la plaine, la mission de Topaga fut échangée en 1661 contre celle de Pauto sur le Casanare. A 62 ans Francisco de Ellauri s'embarqua pour la mission de Guayana. Peu après son arrivée il tomba malade et mourut trois mois plus tard. En 1681 on abandonna définitivement la mission de Guayana, mettant fin à la première voie d'exploration orientale. Les missions continuèrent amenant la découverte d'autres routes par eau ou par terre. Malgré les difficultés géographiques ou politiques, la conquête des grandes plaines de l'est se poursuivit au delà de l'expulsion des jésuites en 1767.
Outre les registres, de nombreux objets du culte témoignent encore de cette époque dans le trésor de la sacristie: une croix paroissiale, une chasuble brodée d'or, un fauteuil abbatial … et plus miraculeusement, il subsiste une harpe de l’orchestre constitué alors par Francisco de Ellauri.

de la harpe

Instrument de 4 octaves, elle porte 30 cordes et présente une caisse à cinq côtes caractéristiques des harpes coloniales, contre les sept généralement en usage en Espagne. Sur la base on remarque le tracé à la pointe sèche et la marque de deux pieds aujourd'hui disparus.
Réalisée en cedro negro, variété d'acajou, elle fut donc construite en Nouvelle Grenade. Seule la table est en sapin. Constituée de plusieurs pièces elle comporte un raccord en dents de scie dans le milieu. Le grain du bois révèle son origine européenne et doit provenir d'une récupération, le manque de longueur justifiant l’assemblage. Elle est percée de quatre ouies circulaires et renforcée à l'intérieur par cinq barrages.

Son originalité réside surtout dans les volutes qui surmontent la console et la colonne sculptée de section carrée, alors qu’elles sont généralement tournées. Peintes et repeintes en ocre, des traces de dorure subsistent par dessous en plusieurs endroits des sculptures.
Elle porte les cicatrices de nombreuses réparations et de profondes empreintes autour des chevilles qui témoignent d'une vie musicale bien remplie, sur certainement plus d’un siècle.

* Historia de la Provincia del Nuevo Reino de Granada y Quito,
de la Compañía de lesús
, Pedro de Mercado, 1739.
Biblioteca de la Presidencia de la República de Colombia. Bogotá, 1957.

Traduit de Revista de la UdA n° 217, Medellín 1989.
relevé & plan, Tópaga & Bogotá 1988.

harpes d'Amérique
à voir:
> Arpas Americanas
église de Tópaga,
(survol) enregistrement de
> Música del período colonial en América hispánica

étude du tracé. module 33,5 cm.