le retable de l'agneau mystique

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Divide monochordum in IIII partes...

D'abord, pose le monocorde Γ et divise le par quatre: tu obtiens la quarte C et les octaves G et g.[1]
— chaque lettre désigne la place de la note sur le monocorde et/ou la valeur de sa longueur de corde vibrante ainsi que le diamètre de l'arc mis en œuvre —[2]
L'axe vertical est au centre du monocorde.

La console
L'arc des chevilles d'ouverture c, tangente le centre G de Γ.
L'arc supérieur est d'ouverture g, décentré verticalement du centre de l'arc des chevilles, d'un doigt.
Décentré d'autant au dessus, l'arc inférieur est d'ouverture G,

et de sa base, un arc c dessine l'extérieur de la jonction avec la caisse.
L'intérieur vient d'un arc g, décentré horizontalement d'1 pouce sur le même axe.
L'arc c vers la colonne se cale 1 doigt au dessus de Γ, à hauteur du creux de l'arc supérieur.

Le module se trouve ainsi divisé selon 2 échelles: l'une de 12 pouces d'après le système oncial en usage alors et l'autre de 16 doigts suivant la division digitale héritée de l'Antiquité. Les horizontales sont réglées sur la première et les verticales sur la seconde.

La table d'harmonie
Elle suit un angle 5/12.
Le carré de l'hypothénuse vaut 169, nombre aux diverses propriétés dont 132.
Le triangle 5-12-13 est dit de Pythagore, triangles rectangles dans lesquels la mesure de chaque côté s'exprime par des entiers. Dans cette famille, dont il est le second, le plus célèbre est le premier, 3-4-5, aux multiples surnoms.

Le plan de cordes
Le diamètre horizontal de l'arc supérieur g est divisé en 18 parts, plus cinq mêmes parts vers les basses.
Sur la table, les aigus sont espacés d'1 doigt et les graves d'1 pouce, de part et d'autre de la médiante.

La caisse de résonnance
Sa partie haute peut être tracée par un cercle de diamètre g,
Le bas étant caché, sa longueur reste inconnue mais sa largeur peut être estimée à c.
Son épaisseur vaut 1 pouce, sans compter le renfort central au pied des cordes.

La colonne
Dans le cas le plus simple de sa jonction avec la caisse, elle peut être réglée selon un arc de rayon 4 Γ.

Ornementation et cavets
Les cornes sont complétées à la quinte, d, avec une scotie 8-4-2-1
pour résoudre la jonction du côté de la colonne.
soit la suite de diamètres G-D-C-B pour dessiner la console. Elles s'intercalent de même, G-F-D-C, pour achever le col.

Accord et mesure
Le report des longueurs de corde mesurées sur le monocorde montre l'octave aigue à la juste proportion et un bourdon proche de sa quarte C.

La théorie musicale des Anciens est construite sur la double octave partagée par la médiante[3] a; les degrés sont construits par tétracordes descendants. Les Modernes, procèdant par quinte, font de G le centre de leur système et complètent l'octave grave par le Γ. Avec la solmisation et la suite des hexacordes en ut, les lettres prennent un nom: Γ devient Gamma ut, G devient G do sol ré ut et g devient g sol ré ut, mais toutes sont indifféremment chantées sol ou do,
d'où un accord d'usage, selon notre diapason:

CC, DD, EE, FF, Γ, A, B, C, D, E, F, G, a4, ♭, ♮, c, d, e, f, g, aa, ♭♭, ♮♮, cc

Toutefois Γ reste la base de la conception théorique, mais de même qu'il n'y a pas de diapason, le module G utilisé à l'atelier peut être assimilé au pied, qui n'a pas de valeur fixe, ou déduit de la coudée, du bras, de l'empan, ...
Pour cet instrument soprano, c'est le diapason du violon, 32,4 cm, qui a été retenu au moment de la facture.
Construite en érable, chevilles et harpions en os et cordes de boyau brut.

Le tracé initial.
Jan van Eyck achève le retable de Gand en 1432 et sa version finale comporte certains changements.
Les clichés infrarouges ont révélé des repentirs sur les instruments. Si certaines modifications comme celle du clavier s'expliquent[4] par une mise à jour conforme aux nouveaux usages de la facture instrumentale, celles apportées au dessin de la harpe sont moins évidentes.
L'analyse du tracé répond en grande partie à cette question.

L'angle 5-12 de la table d'harmonie ne semble pas avoir été modifié.
Cependant, le tracé de la console utilise principalement 2 arcs d'ouvertures g pour le haut et d en bas, qui sont marqués d'un trait épais. Entre les deux, se retrouvent les mêmes arcs, dessinés plus fin. Ils sont centrés à peu près sur le même axe vertical.
L'arc central g qui devrait dessiner le haut de la console se retrouve vers l'emplacement de celui des chevilles au final.
Bien que ces arcs semblent régis verticalement par le pouce, la largeur de la partie peinte au creux de la console initiale est de 2 doigts, comme dans la version définitive.
Délimitée aussi par des arcs d'ouverture g, sa longueur est malgré tout proche de celle de la seconde version qui utilise pourtant des arcs en c.
Pas trace par contre d'un arc pouvant recevoir les chevilles.
Il n'y a pas eu passage à la quarte C lors d'une étape du tracé, et l'utilisation d'une ouverture à la quarte descendante D, ne permet pas de sortir de l'impasse. (* le tracé final figure en pointillés.)

Chacune des sciences du quadrivium comporte son trivium. En ce qui concerne la musique, sa grammaire est régie par les divisions du monocorde, sa dialectique s'exprime par la géométrie et sa rhétorique s'attache à établir le lien entre théorie et pratiques musicales.
Les tracés circulent oralement en une suite d'instructions, comme on le fait pour les recettes de cuisine. Y a-t-il eu altération dans la transmission ou mauvaise compréhension, toujours est-il que des corrections ont dû être apportées pour la mise en place de la version finale.
Cette harpe révèle sa personnalité par une conception simple d'une grande pureté, à l'ornementation maîtrisée. Le plan de cordes est subtilement balancé avec son éventail inversé entre graves et aigus. Toutefois, la première résolution de la jonction entre caisse et console semble plus moderne que celle à l'ancienne mode retenue en définitive, avec sa caisse à l'arrondi marqué, nettement différenciée de la console. Formellement, ce sont les cavets[5] et les certosinas, d'influence italienne, qui signent la modernité de cet instrument.

Cependant, le choix même de cette harpe d'un nouveau genre qui va perdurer plus de deux siècles, ainsi que les corrections apportées au clavier de l'orgue, révèlent que les frères van Eyck sont à la pointe des innovations de la facture instrumentale de leur temps. L'extrème précision de cette représentation qui repose sur le tracé, confirme cette recherche rigoureuse d'un réalisme qui va devenir une règle chez les peintres flamands et leurs successeurs.

màs lo que falta... Symposium zur Historischen Harfe. Berlin 2016.


1 - Diuidatur igitur .A.B. in quattuor partes per tria puncta. quae sunt .C.D.E.
Boèce, Monochordi regularis partitio in genere diatonico. in De institutione musica, liber quartus, cap. V. 510.

Let the triangle ABC represent the section of the Harp. AB the axis of the arm, which divide into four equal parts, AE, EI, IE, and FB, according to the ancient division of the Chromatic Scale of the Greeks. (...) wherefore, if AB represents a monochord, Al will be a 4th, and AE, EI, IF, and FB, each minor 3ds; and AB sharp 7th or flat 8th, by a quarter tone.
W. Beauford, An essay on the construction and capability of the irish harp, in Historical memoirs of the Irish bards. J. Walker, p. 348. Dublin 1786.

2 - Dans le Prologue à l'Antiphonaire, Gui d'Arrezo utilise une couleur pour distinguer la ligne qui porte la lettre-clef: fa rouge et ut jaune. Par convention, cet usage est perpétué sur la harpe: do rouge et fa bleu. Ont été ajoutés ici: ré vert, sol orange et la jaune.

3 - C'est sur cette médiante que les théoriciens placent toujours la clé de sol. Elle correspond encore au module des facteurs de clavecins, longueur de corde du do central.

4 - On peut se demander alors pourquoi ce premier clavier a été retouché et transformé en clavier chromatique. Ceci peut s’expliquer par deux raisons. La première est que la technique du jeu de l’orgue s’est perfectionnée, ce qui a amené peut-être à faire usage de touches chromatiques dans la première octave. La seconde est que les touches chromatiques permettent une meilleure orientation visuelle sur le clavier, on trouve plus rapidement et plus certainement les notes que l’on veut jouer. La disposition des touches, en particulier celle des touches chromatiques, alternant en groupes de deux et de trois, a été standardisée au début du XVe siècle. Les avantages de cette standardisation de l’apparence du clavier se sont sans doute rapidement imposés, ce qui peut avoir incité van Eyck à moderniser son tableau.
Nicolas Meeùs, Le clavier disparu, le clavier originel de l’orgue de L’Agneau mystique. 1987.

5 - Pour arrondir une pièce chantournée, la méthode la plus sûre est de tomber les arêtes d'un carré pour obtenir un octogone sur lequel se répète la même opération. La pratique de vider en cavets les angles à 45° des octogones  apparaît dans l'Italie renaissante du 14ème siècle, accompagnée d'un goût certain pour les incrustations de certosinas.