les prophètes du porche de la gloire


Saint Jacques de Compostelle.

2 harpes figurent parmi les instruments du Porche de la Gloire, signé du maître Mateo en 1188. Ces harpes sont construites sur les mêmes proportions que les vièles & sont de même facture; ce sont des instruments soprani à la lutherie très fine.

La caisse souple est légèrement cintrée & quatre de ses faces sont recreusées, comme les éclisses des vièles. Il n'y a aucune mention d'ouïe.
La console s'ajuste sur la caisse par un tenon & la tête sculptée camoufle le même assemblage pour recevoir la colonne.
Le pied de la colonne sculpté en patte griffue, vient entourer un cylindre décoré de volutes, à la base de la caisse: cette rotule absorbe la déformation de la caisse & exclu l'usage de la colle.

détail du pied de la colonne & proposition de reconstruction >

La harpe du 8e prophète.

Le relevé montre:
11 chevilles, espacées sur un arc;
12 cordes, dont les 5 graves sont des lignes brisées & les 2 aiguës convergent;
17 boutons, plus resserrés dans les graves que dans les aiguës.[1]
La caisse est présentée verticalement, parallèle à l'axe du vase de parfum.

Le centre d'un arc qui suit les chevilles se rencontre au point de convergence des aigus. Son rayon tangente le prolongement de la caisse depuis la volute.

Une cheville est centrée sur l'axe vertical de cet arc et les 10 autres se répartissent également de part et d'autre.

Double carré et arc de la colonne.

En traçant 1 horizontale depuis le centre de la volute et 1 verticale parallèle à la caisse en bout de l'arc des chevilles, se dessine un rectangle 2 fois plus haut que large, figure connue sous le nom de "double carré".

La volute est centrée sur l'un des angles et le bourdon en croise le centre.

La colonne suit un arc, dont le centre se trouve dans le prolongement de celui des chevilles, et dont le rayon est 2 fois 1/2 l'unité du double carré.

Ce tracé en plan comporte un second niveau de lecture, à la manière de la géométrie descriptive. Il précède celui de la harpe et doit être regardé comme le support théorique de la conception de l'instrument.

Changement de plan et division.

Le double carré avance d'une valeur de sa demi unité, puis est divisé verticalement en 14 parts, partition soulignée par le rythme des chevilles.

Les notes, les octaves et la quarte.

Á ces 14 degrés correspondent 15 notes, soient 2 octaves, les graves et les aiguës d'une gamme de 7 notes.
Au grand coté est attribué le Γ, divisé selon les instructions du Micrologus, pour obtenir les longueurs de chaque note repérées sur le monocorde [2].
Le double carré est alors quantifié et mesure 1 pied x 2 pieds (ou bras, ou module, ou...) de 12 pouces (ou points, ou bords, ou...) [3].

Il en résulte que le rayon de l'arc de la colonne fait 30" [4]. Il suit d'assez près les longueurs théoriques et tout spécialement:
• les octaves qui appartiennent à l'arc, exactement définis par 2 triangles égyptiens 3-4-5 [5]. La volute couronne le dernier octave g.
• les quartes et les quintes, plus particulièrement c dont la distance du centre de l'arc, calculée grâce au théorème de Pythagore [6], n'excède que de 3 millièmes de pouce le rayon de 30".

Ainsi, lorsque ce tracé est appliqué à celui de la harpe, c'est à partir des divisions du monocorde qu'est défini l'arc déterminant la courbe de la colonne. Puis la longueur de la première quarte C est attribuée à la caisse sur laquelle les cordes sont distribuées à raison d'une par pouce. Pour la construction du reste de l'instrument, les mesures des différentes parties découlent toutes des proportions harmoniques, principalement d'octave, de quarte et de quinte. Le diamètre de la volute vaut 1".
Quant à la partition de la console, elle s'obtient en divisant en 14 parts l'axe vertical de l'arc des chevilles: le plan de cordes se dessine en joignant les points obtenus à leurs bases respectives sur la caisse.

Le plan de cordes.

Le report des longueurs de chaque note obtenues par le tracé théorique permet de constater un montage assez proche de la "juste proportion" dans l'octave grave, hormis le bourdon. Les aigus sont réduits jusqu'aux 2/3 pour la chanterelle.
Cette configuration aux aigus courts se retrouve pour le moins jusqu'au 16e siècle. Il se trouve que pour une tension égale, les corrections dans les aigus entraînent un fort grossissement des diamètres, par conséquent des cordes trop raides pour de petites longueurs. Par contre, si l'ensemble est cordé avec un même boyau, la sous-tension compense la raideur due au raccourcissement. Ce montage procure au jeu une meilleure égalité d'attaque. Seul le bourdon peut être renforcé.
Le nom complet de Γ est GammaUt, soit sol, souvent solfié do. Selon les grosseurs de cordes utilisées, l'instrument peut être monté dans l'une ou l'autre des 2 tonalités. Dans tous les cas, la mesure de la différence entre longueur théorique et longueur utile permet de quantifier d'éventuelles corrections par le diamètre des cordes.
Plusieurs configurations sont donc possibles: accord en G ou en C, présence d'un seul ou des deux si (♭ et ♮), bourdon variable, etc.

L'élargissement de la caisse vers les aiguës favorise la réponse accoustique.
Il en résulte un son très homogène aux aiguës particulièrement chaleureux pour cette tessiture.

Ce tracé théorique caché du maître Mateo est un chef d'œuvre de simplicité et de clarté. Il possède une rigueur mathématique qui ne laisse aucune place à la coïncidence et reflète un savoir poli probablement depuis des siècles, sinon des millénaires. Son champ d'application est universel pour la conception et la réalisation des instruments de musique: emplacement des frettes sur les instruments à manche, longueur des tuyaux de flûtes ou d'orgues, chevalet des cordes ouvertes, ...

stalle de la cathédrale de León, 15e siècle >

...

[1] Cette "compression", assurément loin d'être fortuite dans un tel contexte, invite-t-elle à approfondir la lecture?

[2] tel celui de l'allégorie de la Musique figurée au portail royal de Chartres, reconstruit par Olivier Féraud. Le monocorde est un instrument scientifique autant que pédagogique qui permet de passer de la théorie à la pratique. Une fois tracées les proportions harmoniques, le chant peut s'appuyer sur des valeurs sûres et l'oreille confirmer la géométrie. Comme pour la construction d'un cadran solaire, c'est le raisonnement et le calcul qui garantissent le résultat.

[3] La console de la harpe s'appelle arm en anglais et brazo en espagnol.
Á Crémone est utilisé le "point" et les fondeurs de cloches divisent en "bords" (voir l'Harmonie universelle de Marin Mersenne, Paris 1636, ou l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Paris 1751-72, entre autres).

[4] Le diamètre de cet arc, 60", renvoie au système sexagésimal utilisé pour mesurer tout ce qui a un rapport avec le cercle, notamment les mesures d'angle (géométrie, astronomie), et le compte du temps.

[5] Le triangle égyptien est aussi appelé triangle fondamental. C'est le plus petit des triangles de Pythagore, triangles rectangles dont les mesures des côtés sont exprimées par des entiers. C'est lui qui sert d'équerre aux bâtisseurs en utilisant la corde à nœuds.
Mes remerciements les plus chaleureux à Jacques Biay pour l'invention de cette magnifique démonstration.

[6] Dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés.
Pour c: x = 21" 3/7, y = 21"; hypoténuse = √ x2 + y2  = 30" 3/980 (30,003061).
Assez précis aussi, C est inférieur de 1,4 10ème et D supérieur de 3,4 100ème, comme  d de 1,2 10ème, au rayon de 30".

 

< perspective dorée de l'arc de la colonne.

La sixte pythagoricienne, 27/16, n'est supérieure à la demi proportion dorée que de 0,069 et
la valeur du même degré pour Zarlino, 5/3, appartient à la suite de Fibonacci.
Ainsi les proportions harmoniques peuvent comprendre la proportion dorée
alors que la seule proportion dorée ne com-prend pas les proportions harmoniques.

 

L'archivolte illustre le verset 8 du chapitre V de l'Apocalypse de Jean, où Κιθαραν est rendu par un ensemble de bas instruments, à cordes par opposition aux trompettes des quatres archanges.

Ici se trouve la sagesse. Que l'homme intelligent calcule le nombre de la bête puisque c'est un nombre d'homme. Le nombre est DCLXVl.
- Jean Ap. Xlll 18.

le nombre est constitué des 6 premiers pas de la numération romaine, l V X L C & D.
son calcul, à la lumière des proportions musicales, offre des propriétés singulières...

quadruple MM DC LX lV (2664)
triple M CM XC Vlll (1998)
double M CCC XXX ll (1332)
DC LX Vl (666)
moitié CCC XXX lll (333)
tiers CC XX ll (222)
quart C LX (166,5)

Divagaciones sobre ternura-utopia-creacion, Universidad Javeriana. Bogotá, 1993.