Museo degli Strumenti Musicali, Rome.
début 16es.

harpions en os sur une reconstruction.

la quintessence de la harpe

Virtuoses celestes,
les anges ne jouent pas sur n'importe quoi:
dès les prémices de la Renaissance,
on trouve entre leurs mains
les harpes les plus raffinées de l'histoire de cette famille.

Si l'instrument s'est décliné au cours des âges dans toutes les dimensions, c'est la petite taille soprano, construite sur les mêmes proportions que la vièle d'archet puis du violon, qui domine alors. Touchés aussi avec les ongles, les plans de cordes très resserrés sont conçus pour la vélocité et l'ornementation. Mais à nos oreilles, ces harpes sonnent étrangement.

300 ans après son apparition sur le continent, la harpe va s'équiper d'une distorsion mécanique du son sous l'effet des harpions. Ces chevilles cylindriques qui maintiennent les cordes sur la table pivotent aussi doucement et fermement que des chevilles d'accord. Elles portent un doigt à l'équerre qui vient tangenter la corde à sa base sans en altérer la longueur vibrante, donc sans modifier sa note.

Le réglage se fait en impulsant la corde le plus doucement possible, le doigt du harpion faisant naître une harmonique naturelle qui accompagne la vibration de la corde jusqu'à son apaisement; en touchant une seule corde, les harmoniques de même famille s'ébranlent par sympathie.
D'autre part, lorsqu'elle est jouée, l'amplitude de son déplacement lui fait percuter le doigt du harpion. Au réglage, c'est juste avant l'apparition de ce "nazardement" que naissent les harmoniques.

Il est encore délicat de discerner le lieu et l'époque de l'apparition des harpions. Cependant, alors qu'un simple nœud peut suffire pour assujettir les cordes, nombreux sont les modèles de harpes plus anciens munis de boutons. Le renflement de la tête fait facilement "friser" la corde, défaut bien connu des facteurs contemporains. Que cet effet ait été utilisé très tôt avant d'être intensifié par les harpions...
Ce timbre incisif rompt avec les usages harmoniques de la Scolastique, comme les distorsions de la guitare électrique, avec ceux du Conservatoire,
et fait de la harpe le champion d'une conception sonore spécifique à la Renaissance. Cette esthétique singulière est aussi adoptée par de nombreux instruments à cordes comme à vent et c'est ce même modèle qui inspire les clavicordes naissants.

Les instruments à cordes, tous conçus sur la même base d'un Γ théorique, sont montés avec les mêmes cordes de boyau. De par les faibles tensions alors en usage, le fuseau est ample, l'effet harmonique très prononcé et les attaques brèves et percutantes. L'amplification sonore qui en résulte permet de réduire les proportions de la caisse d'harmonie ce qui donne à ces harpes une fine silhouette caractéristique.

Mais plus grande est la corde, plus ample est son fuseau et plus longue la durée de sa vibration. L'action des harpions est alors plus marquée et crée une sorte de "sustain". Celà a dû plaire puisque dans le courant du 15e siècle la tessiture augmente vers les basses. Á l'apparition du continuo, l'esthétique sonore change et les harpions perdent progressivement leur fonction. Les auteurs français du 17e siècle mentionnent leur désaffection, mais cet usage perdure plus longtemps en Allemagne et est encore attesté au pays de Galles, "gwrachod", en 1820, comme ampli acoustique pour accompagner les danses.

Une de ces petites harpes est conservée au musée instrumental de Rome: pour une colonne de 84 cm, elle est montée de 26 cordes. Á l'instar des concerts angéliques, de quelles broderies musicales a-t-elle bien pu résonner?

in Histoire et images Médiévales n° 45, août/septembre 2012.

Jean van Eyck, retable de Gand, 1432
& reconstruction

- Gérard David, détail du triptyque de la famillle Sedano, 1495 (Le Louvre),

comparez la taille des détails des harpe avec ceux du visage des anges.